Des fouilles récentes dans la grotte des Contrebandiers (près de la côte atlantique marocaine, dans la région de Témara) ont mis au jour un ensemble d’outils osseux et d’indices (os de carnivores portant des signes d’écorchage) interprétés comme des instruments spécialisés pour le travail du cuir et de la fourrure. Ces découvertes, datées d’environ 120 000 à 90 000 ans, représentent parmi les plus anciennes preuves archéologiques de pratiques liées à la fabrication de vêtements. Elles montrent l’ingéniosité des populations qui occupaient le territoire de l’actuel Maroc et s’inscrivent dans une longue tradition artisanale qui, à travers les siècles, a contribué à la réputation du pays dans les métiers du textile et du cuir.
La découverte : contexte et datation
Entre les couches datées d’environ 120 000 et 90 000 ans, les archéologues ont dégagé un ensemble d’objets osseux façonnés et usés de manière cohérente avec des activités de raclage et d’affûtage. Parallèlement, des restes de carnivores portent des marques (entailles, traces de découpe) suggérant que ces animaux ont été dépouillés pour leur peau plutôt que pour leur viande.
Ces éléments indiquent l’existence d’une tradition de transformation des peaux en cuir ou fourrures, donc d’activités liées à la confection d’éléments vestimentaires.
Méthodes et interprétation scientifique
L’étude publiée par Emily Y. Hallett et al. (iScience, 2021) décrit le worked bone assemblage (ensemble d’outils osseux façonnés) et analyse les marques d’utilisation ainsi que le contexte stratigraphique.
Les chercheurs ont comparé la morphologie de ces pièces et leurs traces d’usure à des outils ethnographiques connus pour le travail des peaux (racloirs, lissoirs, etc.).
La cohérence de ces données conduit à l’hypothèse que ces outils servaient spécifiquement au traitement des peaux et à la préparation de matériaux destinés à la fabrication de vêtements.
Importance pour l’histoire du vêtement
Si l’on tient compte des datations, ces résultats repoussent dans le passé de façon significative la preuve que les humains modernes mettaient déjà en œuvre des technologies spécialisées pour produire des vêtements.
Cela prouve un niveau d’adaptation technique et culturelle avancé : protection contre le climat, expression identitaire, statut social, etc.
La fabrication de vêtements apparaît ainsi comme une composante ancienne et fondamentale du comportement humain.
De ces pratiques anciennes à la tradition textile marocaine
Ces découvertes démontrent que le territoire du Maroc abritait dès la préhistoire des activités de préparation de peaux et de fibres.
Au fil des millénaires, ce savoir-faire s’est perfectionné pour donner naissance à des traditions artisanales reconnues : tanneries historiques (notamment à Fès), teintures végétales naturelles, tissages berbères (tapis Azilal, Taznakht, etc.).
Ces techniques constituent un patrimoine immatériel ancestral, transmis de génération en génération, et qui continue d’influencer la mode contemporaine et le design mondial.
Conséquences et héritage culturel
Réévaluation des origines du vêtement : ces découvertes soulignent que la fabrication d’habits est une pratique humaine très ancienne, liée à l’adaptation et à la créativité.
Fierté patrimoniale : elles confirment la profondeur historique du savoir-faire marocain dans le travail des peaux, des fibres et des textiles.
Héritage vivant : le génie artisanal des anciens Marocains se manifeste encore dans les créations de mode actuelles, où les designers s’inspirent des motifs, des teintures et des techniques traditionnelles.
Conclusion
La découverte d’outils osseux destinés au travail des peaux dans la grotte des Contrebandiers constitue une preuve tangible que des sociétés humaines, sur le territoire de l’actuel Maroc, pratiquaient déjà au Paléolithique des techniques élaborées liées à la fabrication de vêtements.
Ce niveau d’ingéniosité ancienne, mis en regard avec la richesse du patrimoine artisanal marocain (tissage, cuir, teinture), montre que les savoir-faire transmis à travers les âges ont contribué à façonner l’évolution du textile et de la mode moderne.
L’histoire du vêtement ne peut être comprise sans reconnaître la place pionnière du Maroc et la créativité exceptionnelle de ses artisans, d’hier à aujourd’hui.
Références
Hallett, E. Y. et al. (2021). A worked bone assemblage from 120,000–90,000 Ans deposits at Contrebandiers Cave, Atlantic Coast, Morocco. iScience.
Max Planck Institute for the Science of Human History communiqué officiel sur les outils osseux et la production de vêtements (Contrebandiers Cave).
Smithsonian Magazine Evidence of fur and leather clothing, among world’s oldest, found in Moroccan cave. (Brian Handwerk, 16 Sept 2021).
The Guardian Scientists find evidence of humans making clothes 120,000 years ago (16 Sept 2021).
Loukid, Khalid Traditional Dyeing Techniques in Moroccan Amazigh Textiles: Ancestral Knowledge and Regional Practices.
Articles sur la renaissance du tissage marocain et son influence sur la mode internationale (2022–2024).


